Search

«En thérapie» : malgré les invraisemblances, un engouement symptomatique - Libération

Un⋅e psychanalyste devant En thérapie bondit probablement autant qu’un agent de police devant une série policière, sursautant à chaque invraisemblance mais obligé·e de reconnaître que son quotidien prête à fantasmer. Les éléments irréalistes ne manquent effectivement pas ici. Par chance pour les analystes, les sujets qui s’adressent à eux ne se présentent pas de manière aussi agressive, soupçonneuse et condescendante que ce que dépeignent Eric Toledano et Olivier Nakache. Fort heureusement aussi, la neutralité bienveillante que Freud considérait comme la seule attitude compatible avec la direction de la cure n’exclut pas le recadrage éventuel de la personne qui dépasserait le niveau sonore admissible ou téléphonerait en séance.

Rengaines et temporalité

Quant aux interventions de l’analyste Philippe Dayan, joué par Frédéric Pierrot, elles sont parfois caricaturales. Qui, aujourd’hui, oserait renvoyer un patient ou une patiente à leur «résistance» ? Lacan a en principe dépoussiéré ces vieilles rengaines. Tout aussi irréaliste est l’idée qu’un psychanalyste pourrait de ne s’être pas aperçu que «le monde va mal». Dès Freud, les psychanalystes savent que le psychique est social, étant tissé de mots, et le social psychique. Qui d’entre nous aurait pu, par exemple, ignorer les transformations du monde de l’entreprise, contenues dans les paroles des patient⋅e⋅s ? Bien étonnante également est la découverte tardive par l’analyste de la fixation amoureuse d’une patiente, fixation considérée par lui comme un banal accident transférentiel − là où Freud y voyait un périlleux court-circuit.

A lire aussi

Mes patient⋅e⋅s se sont aussi étonné⋅e⋅s de l’intensité événementielle de chaque séance. Dans la réalité, en effet, bien souvent, de séance en séance, il ne se passe rien. Il ne se passe souvent rien précisément − pour qu’il se passe, de temps en temps, par surprise et comme par effraction, quelque chose qui change la vie. La temporalité d’une série télévisée ne peut, par principe, rendre compte de l’étrange temporalité analytique, constituée de tous les mots nécessaires pour qu’un peu de vérité advienne. C’est quand on veut donner de la scène analytique une représentation familière, comme ici, qu’en fait, bizarrement, on manque de réalisme. Pour que le travail puisse se produire, les places de l’analyste et de l’analysant⋅e ne peuvent être aussi symétriques et sans barrière que ce que montre la série. On pourrait multiplier les exemples… mais est-ce le plus important ?

Trois hypothèses

Peu importe, au fond, qu’En thérapie soit réaliste ou pas. Ce qui est irréductiblement réel est l’engouement suscité. A quoi un tel succès tient-il ? On peut émettre plusieurs hypothèses. Que le premier épisode ait lieu le 16 novembre 2015 dans le quartier du Bataclan et des «terrasses» est en soi cause d’émotion. Il était effectivement temps de revenir sur ces moments. La période de crise que nous traversons n’est pas le plus mauvais moment pour nous interroger sur l’effet produit par les attentats. Les patient⋅e⋅s de Philippe Dayan nous font entendre des témoignages, bien réels cette fois, de sujets qui, chirurgienne ou flic, furent au corps à corps avec la mort et la survie.

La seconde hypothèse est plus large. Dans une époque où la voix subjective est discréditée au profit de considérations pseudo-objectives, un analyste gentil et pas prétentieux nous parle de nous, dédramatise nos affects, dépathologise nos pensées. La frontière du normal et du pathologique bouge. «Tout le monde pense à la mort. Tout le temps», rappelle le psy. Il est inutile de chercher à se remettre dans le droit chemin d’une santé mentale étriquée quand tout en nous panique et brûle de s’exprimer. Le personnage de l’analyste, dans son immobilité ouverte, prend au sérieux les mensonges et les crises pour tenter d’y puiser un peu du désir qui peine à se dire. Serait-elle celle du «petit écran», une fenêtre, alors, s’ouvre. La troisième hypothèse serait navrante. Elle consisterait à croire qu’on puisse prendre plaisir au spectacle d’un psychanalyste qui ne parvient plus à tenir sa place.

Let's block ads! (Why?)

En savoir plus et une source d'actualités ( «En thérapie» : malgré les invraisemblances, un engouement symptomatique - Libération )
https://ift.tt/3ql2REO
Divertissement

Bagikan Berita Ini

0 Response to "«En thérapie» : malgré les invraisemblances, un engouement symptomatique - Libération"

Post a Comment

Powered by Blogger.