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Ils sont morts en 2021: Belmondo, Tapie... les décès marquants de l’année - Libération

Ce matin de décembre, je me réveille en sueur, les yeux hallucinés, à l’affût du moindre bruit après le cauchemar tout aussi affreux qu’érotique que je viens de faire. Barbara Shelley (4 janvier), «tornade sensuelle et éplorée de l’horreur gothique», actrice vampire par excellence, suçait le sang de mon petit cou potelé, sous les rires de Patricia Hitchckok (9 août), qui en a vu d’autres avec son père, le tout filmé par Bertrand Tavernier (25 mars), qui nous a pourtant habitués à des comédies plus grand public. J’aurais préféré que ça soit le beau et sauvage Jean-François Stévenin (27 juillet) derrière la caméra.

Traînant dans mon lit, observant accroché à mon mur un autoportrait d’Alice Springs alias June Newton (9 avril) en presque sainte illuminée les mains jointes, dans ce dernier quart de la nuit, je me mets à lire quelques poèmes de Philippe Jaccottet (24 février), espérant bien que cela agira comme un somnifère naturel. Il écrit, et cela me donne envie de monter le chauffage : «Dans l’herbe à l’hiver survivant ces ombres moins pesantes qu’elle, des timides bois patients sont la discrète, la fidèle, l’encore imperceptible mort.» Bon, ce n’est pas très joyeux, je préfère ouvrir un Concombre masqué de Mandryka (13 juin), puis Outlaw de Raoul Cauvin (19 août), le formidable scénariste des Tuniques Bleues, de Cédric, de certains Boule et Bill et de Pierre Tombal, le fossoyeur à l’humour loin d’être cadavérique. Lui, il en aurait eu des bonnes à raconter sur l’au-delà, qu’il ne faut pas trop prendre au sérieux, sinon on ne penserait qu’à ça. A force de rire, je ne peux plus me rendormir. Je saute de mon lit dans une cascade digne de Rémy Julienne (21 janvier) dans un James Bond (Mourir peut attendre (6 octobre) comme dirait Daniel Craig). J’enlève mon pyjama en soie aux imprimés colorés d’Alber Elbaz (24 avril) puis j’hésite pour m’habiller entre mettre un maillot de l’OM période Bernard Tapie (3 octobre) ou un look total Virgil Abloh (28 novembre), premier designer noir à avoir dirigé les collections hommes de Louis Vuitton.

J’allume ma radio. Nostalgie diffuse Où sont les femmes de Patrick Juvet (1er avril). C’est un petit peu trop entraînant si tôt dans la matinée, alors je switche sur France Musique qui, enchaîne, coup sur coup, Nelson Freire (1er novembre), Johnny Ventura (28 juillet), Bobby Few (7 janvier) et Bernard Haitink (21 octobre). J’esquisse quelques pas de danse face à mon miroir, comme Patrick Dupond (5 mars), Raimund Hoghe (14 mai) et Anna Halprin (24 mai). Puis, je n’écoute plus que d’une oreille, traînant sur mon téléphone et lisant des vieux tweets du roi des gifs Philousports (19 juin), de la journaliste Michèle Leridon (3 mai), de l’avocat Jean-Michel Moyart, alias Maître Mô (21 février) et du fondateur du Printemps Républicain Laurent Bouvet (18 décembre).

Il est temps d’aller bosser. Dans ma rue, qui sent bon le Paris éternel et vaporeux de Sabine Weiss (28 décembre), une voiture déboule et manque de m’écraser. Le mec est complètement fou, il se prend pour le pilote de rallye Hubert Auriol (10 janvier) et ça risque de finir comme une photo de carambolages d’Arnold Odernatt (19 juin). Je l’insulte copieusement dans des termes qui auraient même impressionné le barbouze Bob Morane de Henri Vernes (25 juillet). J’aimerais savoir voler comme le Spiderman du réalisateur Richard Donner (5 juillet), pour rattraper le chauffard et envoyer sa voiture valdinguer à l’autre bout du monde, sur les têtes de Donald Rumsfeld (29 juin) et Colin Powell (18 octobre) morts sans jamais avoir été jugés pour crime contre l’humanité après la guerre en Irak. Face à moi, le long de l’église anglicane dont les cloches sonnent, inconsolables, la perte du prince Philip Mountbatten (9 avril), se dresse un immense tas de vêtements. Ils débordent du conteneur de collecte, comme une pyramide de l’artiste Christian Boltanski (14 juillet). «C’est vraiment de l’art nul», s’amuserait le Belge Jacques Lizène (30 septembre), qui peignait avec sa propre merde.

Sur le chemin du café, je passe devant mon couturier. Il a affiché dans sa vitrine un drapeau du Tchad et une photo du président autoritaire Idriss Déby (20 avril), mais pas du dictateur sanguinaire Hissène Habré (24 août). Quelques mètres plus loin, le bouquiniste installe sur le trottoir ses livres d’occasions. Un peu de tout : des romans de Vassilis Alexakis (11 janvier), Michel Le Bris (30 janvier), Joseph Ponthus (24 février), Nawal El-Saadawi (21 mars), Larry McMurtry (25 mars), Manuel Joseph (25 octobre), Marie-Claire Blais (30 novembre), Vassili Golovanov (13 avril), Eve Babitz (17 décembre), bell hooks (15 décembre), Joan Didion (23 décembre), Jacques Drillon (25 décembre). Des bouquins d’histoire sur la Russie de Marc Ferro (21 avril), sur l’esclavage de Marcel Dorigny (22 septembre), sur Mao de Claude Hudelot (15 août) ou sur les peuples slaves de Paul Garde (27 juillet). Il y a même du Pierre Rabhi (4 décembre) et je fais ma part en le cachant sous d’autres livres pour que personne ne le trouve. J’hésite à acheter des poésies de Lawrence Ferlinghetti (24 février) ou d’Etel Adnan (14 novembre), mais il faudrait déjà que je termine Ce jardin d’encre de Bernard Noël (13 avril). Il écrit : «Et maintenant voici venir le noir qui est de la lumière.»

Un grand chauve masqué passe à côté de moi, marmonnant contre le Covid et tous ces morts qui auraient pu être évités, dont les syndicalistes martiniquais antivax Alain Decaille et Aimé Agat (20 décembre). Il ressemble à Axel Kahn (6 juillet). Kahn, le grand généticien, pas Khan Abdul Qadeer (10 octobre), le père de l’arme nucléaire pakistanaise. L’homme râle contre deux ados jouant au foot sur le trottoir, se prenant pour Gerd Müller (15 août). Ils vont être en retard pour leurs cours au lycée du coin qui applique les pédagogies expérimentales de Gaby Cohn-Bendit (17 décembre). Sur un mur, des collages féministes dénoncent le producteur de musique Phil Spector (16 janvier), le chorégraphe Liam Scarlett (16 avril), Maurice Agnelet (21 janvier) et le tueur en série Michel Fourniret (10 mai), parti avec ses secrets. Un hélicoptère passe au-dessus de nous, c’est rare à Paris, comme l’accident fatal dont a été victime Olivier Dassault (7 mars). L’engin vole de plus en plus haut dans le ciel: peut-être veut-il aller déposer sur la Lune pas encore couchée le corps de Grichka Bogdanov (28 décembre), faux scientifique et vrai extraterrestre de télévision.

Dans mon bar, je m’installe au zinc pour le café du matin. Le serveur ressemble à James Michael Tyler (24 octobre), Gunther dans Friends. Il est fan de Charlie Watts (24 août), pourquoi pas, mais les Rolling Stones toute la journée, c’est parfois un peu pénible. Je préfère quand c’est sa collègue. Elle met du Jacob Desvarieux (30 juillet) ou du Lee Scratch Perry (29 août) : ça zouke. Elle a un petit air en plus de Cloris Leachman (27 janvier), la grand-mère dans la série Malcom. Ou peut-être plutôt de Verónica Forqué (13 décembre), l’actrice fétiche d’Almodovar ?

Le rade a refait sa déco récemment. Ils ont mis des repros de tableaux de Gérard Fromanger (18 juin), Geneviève Asse (11 août), Vincent Cordebard (8 octobre) et même une sculpture de Valentine Schlegel (16 mai). Sur le comptoir traîne Libé, qui fait sa une sur PPDA et on aimerait bien entendre sur ce scandale les dirigeants disparus de TF1, dont Etienne Mougeotte (7 octobre). Les anciens de la rue Béranger, Pascaline Cuvelier (24 mars), James Burnet (4 avril) et Jacques Amalric (4 juin) seraient fiers de voir que leur journal a toujours de la gueule.

La télé est allumée sur BFM : la chaîne repasse des extraits de l’enterrement d’Hubert Germain (12 octobre) au mont Valérien, dernier compagnon de la Libération. Héros et héroïnes, résistant·e·s, déporté·e·s ou rescapé·e·s de la Shoah comme Lya Slama (5 décembre), ils sont de moins en moins nombreux. Que deviendrons-nous quand il n’y en aura plus aucun pour témoigner de l’horreur fasciste alors que l’ombre brune rôde jusqu’aux urnes où les électeurs Modem ne pourront plus jamais glisser un bulletin de vote pour Marielle de Sarnez (13 janvier) ?

Assis à une table, un couple murmure, leurs mains s’égarent discrètement, leurs regards surveillent discrètement par la fenêtre si personne ne les regarde.. Sans doute des Big Little Lies comme les affectionnaient le réalisateur Jean-Marc Vallée (25 décembre). Deux étudiantes en philo parlent à cœur ouvert des mérites comparés de Jean-Luc Nancy (23 août) et de Sylvère Lotringer (8 novembre), passeur américain de la French Theory. A leur côté, une chaise reste désespérément vide, celle de Clémence Morvan (12 février), décédée à un âge (27 ans), où on doit traîner dans les cafés en buvant des coups, sans devoir se soucier de la maladie. Tout comme ces 27 migrants, dont Husain Tanha, Maryam Nouri Hamadameen, Muhammad Qadir, Hasti Rezgar, âgés de 7 à 40 ans, qui n’auraient jamais dû se noyer dans la Manche le 24 novembre si nos sociétés avaient un minimum de cœur et de solidarité. «Faites le bien, par petits bouts, là où vous êtes ; car ce sont tous ces petits bouts de bien, une fois assemblés, qui transforment le monde», nous enseignait Desmond Tutu (26 decembre), ce rebelle de la paix.

Il fait froid un peu, là, non ? Moi, je frissonne. Pourtant, il faut continuer d’y croire, continuer d’avoir foi, et, comme aurait dit Jean-Pierre Bacri (18 janvier), garder le goût des autres, et tenter de s’intéresser à toute la beauté du monde, du Mahabharata à Buñuel, comme le faisait Jean-Claude Carrière (8 février).

Je vais me laver les mains aux toilettes dans le respect des gestes barrières. Des vieilles affiches pendent aux murs. L’une sur une expo de 2017 à Pompidou consacrée aux architectes du bâtiment, Renzo Piano et Richard Rogers (18 décembre). Une autre plus récente sur une rétrospective aux Beaux-Arts du dessinateur satirique assassiné Georges Wolinski, commentée par sa femme Maryse Wolinski (9 décembre).

A mon retour au zinc, le serveur a changé de chaîne. Le Magnifique de Jean-Paul Belmondo (6 septembre) passe. Le sourire de l’acteur me redonne de l’espoir, lui qui écrivait dans sa biographie : «En fait, je préfère mourir à la fin : ça fait toujours un meilleur finale, et puis ça évite les happy ends, dont la niaiserie n’est jamais loin.» Quel As des As quand même ! Il lançait aussi, dans le Marginal : «Je suis mort. Et vous me regretterez, parce que c’était marrant. Souvenez-vous : j’arrivais, je sortais ma plaque, je disais : “Police, je vous arrête.”» Alors, je me retourne face à la porte d’entrée et je l’attends, prêt à lever les bras.

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