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Tokyo Vice : critique pas assez noire sur Canal+ - EcranLarge

THE INSIDER

Pas étonnant que Michael Mann soit impliqué dans l'adaptation de Tokyo Vice en tant que producteur exécutif et réalisateur du premier épisode. Le roman de Jake Adelstein, dans lequel le journaliste américain retraçait son entrée dans un des plus grands quotidiens nippons et son enquête sur la mafia japonaise, possédait, en filigrane, plusieurs thèmes ayant défini l'oeuvre du cinéaste : une mégalopole qui ne se révèle qu'entre les ombres et la lumière artificielle des néons, un héros obsessionnel qui existe en marge des autres et un récit dans le monde journalistique, policier et criminel où les personnages découvrent qu'ils ne sont que les rouages d'un système qui les dépasse.

En d'autres termes, la série était faite pour le style si distinctif de Mann. Et ce premier épisode dépasse tout ce qu'on pouvait en attendre. Tandis que le scénario se débarrasse de tout l'aspect foisonnant et explicatif du livre pour n'en garder que l'essentiel, le réalisateur s'approprie totalement la ville et retranscrit parfaitement l'esprit et la richesse de l'oeuvre originale à travers sa mise en scène, toujours aussi maîtrisée et classieuse.

Tokyo Vice : photoEast Side Story

Par son travail du cadre, du montage, de la musique ou une simple mise au point sur un visage, Michael Mann sublime l'atmosphère tendue et hypnotique du récit avec un minimalisme déconcertant et n'hésite pas à emprunter à CollateralRévélations ou Le Sixième Sens lorsqu'il explore le Tokyo invisible ou la psyché de Jake (Ansel Elgort). Caméra à l'épaule, le cinéaste suit le journaliste en passant des bureaux chaotiques du Meicho Shimbun aux clubs à hôtesses luxueux et réussit à capturer, seulement en quelques plans, le ressenti de ses personnages et le flux perpétuel (humain, informationnel, commercial ou criminel) dans lequel ils sont pris.

Le choc culturel, l'isolement de Jake, le caractère ambivalent de l'inspecteur Katagiri (Ken Watanabe), la hiérarchie au sein des yakuzas, de la police ou du journal ou les codes qui régissent la société japonaise... En moins d'une heure, le réalisateur introduit tous les éléments et les enjeux de la série d'une main de maître, tout en dévoilant les différentes facettes de la ville, des personnages et jusqu'où ils sont prêts à aller pour faire leur travail ou donner un sens à leur vie (l'un rejoignant souvent l'autre). Mais malheureusement, Michael Mann ne réalise que le premier épisode de Tokyo Vice, et ça se voit.

 

Tokyo Vice : photo

Entre les ombres

LOST IN TRANSLATION

Dès le deuxième épisode, Tokyo Vice devient une série radicalement différente. La nervosité et l'élégance qu'avait apportées Michael Mann disparaissent subitement pour laisser place à une réalisation tristement plus générique et convenue. La direction artistique, la photographie ou le découpage restent quand même soignés, et la réalisatrice japonaise Hikari apporte un style plus contemplatif à l'image, mais la mise en scène et l'esthétique des autres épisodes contrastent tellement avec celles de Mann que la déception est inévitable.

D'autant que, à partir du deuxième épisode, la série va même à l'encontre de la démarche du livre ou de ce qu'elle proposait dans le premier épisode : plutôt que de conserver le point de vue étranger et singulier de Jake sur la culture nipponne, la vie à Tokyo et la mafia japonaise, le récit se divise en différents arcs sur les autres personnages croisés par le journaliste, comme sa supérieure, Emi (Rinko Kikuchi), l'inspecteur Katagiri, l'hôtesse de club Samantha (Rachel Keller) ou Sato (Shô Kasamatsu), un jeune yakuza mélancolique.

Tokyo Vice : photo

Lavé, plié, repassé

En multipliant les perspectives, la narration voulait peut-être offrir un portrait plus ample et plus complet de Tokyo et sa face cachée. Cependant, la plupart des sous-intrigues n'ont que peu d'intérêt ou viennent s'insérer sans trop de cohérence ou de pertinence (la famille de Jake ou le passé de Samantha, entre autres). Par conséquent, le récit perd son élan, son originalité et la série finit par ressembler à n'importe quelle autre production du genre, avec son lot de rebondissements, de romances, de trahisons et d'anecdotes plus ou moins oubliables.

Tokyo Vice en oublie même son sujet et la corruption, l'exploration du monde des yakuzas, l'évolution et le déclin de mafia japonaise, la réflexion sur le métier de journaliste ou les rapports entre la presse, la police et le crime organisé se retrouvent bâclés ou laissés de côté. Une frustration et une sensation d'inachevé qui se confirment jusqu'au bout, puisque la fin ne se donne même pas la peine de faire le lien avec le prologue du premier épisode. Comme si la série avait été redécoupée et remontée à la va-vite pour inciter à regarder la deuxième saison, déjà annoncée.

Tokyo Vice : photo

Deux yakuzas à Tokyo

PUBLIC ENEMIES

Pour autant, malgré son manque de parti-pris ou de structure narrative, Tokyo Vice parvient à tenir en haleine pour son récit, mais surtout pour ses personnages, de plus en plus attachants. Le scénario s'égare peut-être, mais il sait néanmoins donner vie à la galerie d'âmes en peine qui parcourent Tokyo et ses rues labyrinthiques.

Il suffit parfois d'un seul regard, d'un silence ou d'une conversation autour des Backstreets Boys pendant un trajet voiture pour que ces personnages existent et se rapprochent, brouillant encore un peu plus la frontière entre les différents mondes auxquels ils appartiennent.

 

Tokyo Vice : photo

La voie honorable

Et si Jake, qui reste au centre du récit, n'est traité que comme un journaliste américain avec une belle gueule et pas mal de chance, les autres protagonistes, eux, ont finalement plus à raconter que ce qu'ils laissent présager : Emi, la patronne de Jake, qui tente elle aussi de bousculer les règles avec son article sur les féminicides et le sexisme institutionnel au Japon ; Samantha, qui s'accroche à son rêve d'ouvrir son propre club, ou Sato, qui est de moins en moins sûr de vouloir être un yakuza. Tous évoluent et dévoilent une étonnante profondeur, souvent dans des séquences anodines, et pourtant touchantes.

Évidemment, une grande partie de cette réussite découle aussi du casting et du choix des acteurs et des actrices. Alors que le visage chérubin d'Ansel Elgort colle parfaitement à la naïveté et l'arrogance du personnage principal, Rachel Keller prouve qu'elle n'a rien perdu du talent et du magnétisme qu'elle avait démontrés dans Fargo ou Legion. Ken Watanabe, avec son visage usé, donne toute sa gravité au personnage de Katagiri et Shô Kasamatsu crève l'écran de tout son charisme, y compris dans les scènes qu'ils partagent avec l'acteur de Baby Driver et West Side Story.

Tokyo Vice : photo

Jeux dangereux

Au terme de cette première saison, Tokyo Vice est trop inégale au niveau de son écriture et ne sait pas si elle veut s'intéresser uniquement au parcours de Jake ou proposer une fresque plus ample autour de ses différents personnages. Jamais la mise en scène ne retrouve la virtuosité et l'atmosphère du premier épisode, mais le scénario possède suffisamment de tension pour captiver jusqu'au bout. Désormais, il serait temps pour la série de se plonger dans le monde souterrain et fascinant qu'elle a présenté plutôt que de simplement l'observer.

Deux épisodes de Tokyo Vice sont diffusés chaque jeudi soir sur Canal+ depuis le 15 septembre 2022. Tokyo Vice est disponible en intégralité sur MyCanal

Tokyo Vice : Affiche française

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