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The Wonder : critique à jeun sur Netflix - EcranLarge

Le nom du trèfle à trois feuilles

Quand une jeune fille de onze ans (Kíla Lord Cassidy), qui vit dans la campagne irlandaise du XIXe siècle, prétend survivre sans manger depuis quatre mois, qui est-ce qu'on appelle ? À notre gauche : une infirmière commodément nommée Mrs Wright épaulée par un journaliste (Tom Burke). À notre droite, une nonne (Josie Walker). L'enjeu de cet octogone théologique : détecter la fraude... ou entériner le miracle.

Tout au long du film, science et religion assurent la garde alternée de l'enfant et répondent parallèlement de leur perception devant un aréopage de vieux mâles blancs endimanchés. Dans leur sillage, The Wonder est traversé d'oppositions binaires : les croyances contre les preuves, la femme qui a voyagé en butte à la communauté isolée, le témoin solitaire qui doit résister à la force du groupe, le relevé des constantes vitales versus la collection Panini des saintes...

The Wonder : photo Josie Walker, Toby Jones, Kíla Lord Cassidy, Niamh Algar, Florence PughFlorence in Wonderland

Si nombre de personnages répondent à un archétype, le scénario parvient à les nuancer. Le médecin du village questionne l'inconnu scientifique, la nonne n'a rien d'une harpie malveillante et l'infirmière est à deux doigts de perdre pied devant cette énigme, allant jusqu'à s'approprier les armes et symboles adverses (baptême, résurrection, purification) pour ne pas perdre la partie.

Tout film de costume qu’il soit, The Wonder traite de problématiques éminemment contemporaines. En substituant à la religion toute forme de croyance, il recouvre parfaitement la ligne de fracture de nos sociétés confrontées aux heurts tectoniques de la post-vérité. Par sa mise en abîme inaugurale, le long-métrage élargit sa focale et étend sa réflexion aux histoires qu'on se raconte, de quelque nature que ce soit... y compris fictionnelle. Dommage que cet axe prometteur ne soit pas davantage alimenté par l'intrigue.

The Wonder : Photo Florence Pugh, Josie Walker

And after all You're my wonder, wall

À la merveille de réalisation

Que la trame se déroule dans la campagne irlandaise du XIXe siècle octroie plusieurs points de résonance. D'un point de vue historique, elle s'appuie sur la pratique avérée du jeûne à l'époque victorienne, appliquée par de juvéniles européennes soutenant être élues de Dieu. Le calvaire d'Anna évoque d'ailleurs largement la destinée de la bien réelle Sarah Jacob, si bien qu'on s'étonne presque de ne pas apercevoir le si commode label "inspiré d'une histoire vraie".

Les événements se déroulent également une dizaine d'années après la Grande Famine qui a ravagé l'Irlande entre 1845 et 1852, offrant un substrat idéal de traumatismes à ce besoin pathologique de croire en une transcendance, tout en conférant une portée quelque peu ironique au jeûne choisi d'Anna.

The Wonder : Photo Florence Pugh, Kíla Lord Cassidy

Un peu d'hydroxycalories et il n'y paraîtra plus

The Wonder s'est donné les moyens de ses ambitions par une reconstitution remarquable. Déroulée au gré de pérégrinations superbement composées, la campagne irlandaise est sublimée par la photographie d'Ari Wegner (qui avait déjà capturé Florence Pugh dans The Young Lady). Sa subtilité chromatique renvoie aux peintures de Vermeer, quand ses intérieurs évoquent les clairs-obscurs du Caravage.

The Wonder : photo Kíla Lord Cassidy, Tom Burke, Florence Pugh

La petite dénutrition dans la prairie

Du thaumatrope au trope traumatique

Hélas, l'équilibre que tente d'atteindre The Wonder entre thriller surnaturel et drame historique reste perfectible. En dépit de quelques trouvailles malaisantes (les bruitages en guise d'habillage sonore, les prières sinistres, les yeux peints sur la photographie...), le film ne déconcerte jamais vraiment malgré son envie de se déployer à la lisière du fantastique.

Le mystère au cœur du scénario manque un peu de combustible, l'enferrant dans une routine cyclique de surveillance de la fillette, discussion quelconque puis périple à travers les Midlands tour à tour accrocheuse, contemplative ou redondante. Dans son dernier tiers, le drame brut prend d'ailleurs le pas sur l’ambiguïté et l'enquête tendance who-fed-it.

The Wonder : photo Florence Pugh

L'apprentie du docteur marche

Reste la prestation de Florence Pugh, toujours aussi magnétique. Certes, le scénario aurait pu la pousser bien plus loin dans ses retranchements : la scène où elle perd patience avec l'enfant est aussi agréablement crispante que brève, et sa relation avec le journaliste se révèle bien trop programmatique pour convaincre. Mais l'étoile montante d'Hollywood livre une nouvelle performance impeccable de sobriété.

Très à l'aise en costume (après The Young Lady et Les Filles du Docteur March), elle s'inscrit dans les pas du Johnny Depp de Sleepy Hollow, s'accrochant à la rationalité jusqu'à déterrer, comme d'autres la tourbe, les secrets familiaux honteux. Sa déambulation iconisée toute de bleu vêtue dans les Highlands n'est pas sans renvoyer ironiquement à la présumée Vierge Marie.

The Wonder est disponible sur Netflix depuis le 16 novembre 2022

The Wonder : Affiche US

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