Ils sont longtemps restés assis, sagement, à écouter les Nana Benz avant que quelques-uns ne se décident à se lever. Sur les rythmes chaloupés du quintet venu du Togo, ces détenus de la prison de Rennes-Vezin ont pu danser, sourire, rigoler et oublier quelques instants que leur quotidien est muré dans cette épaisse enceinte de béton. « C’était hyper bien, c’était frais, ça met la pêche », lâche François*, à la fin du set. Organisé dans le gymnase de la prison par le festival des Trans Musicales, ce concert était accessible à une trentaine de détenus de tous horizons. Il a fait résonner des voix féminines, féministes et des instruments de musique bidouillés que l’on n’entend jamais dans cette prison pour hommes. De la musique, les détenus en écoutent pourtant énormément quand ils sont en cellule. Laquelle ? Avec quel appareil ? A quel moment ? 20 Minutes leur a demandé.
La chaîne hi-fi toujours en vie
La première des questions que l’on a posée, c’était de savoir comment on écoutait de la musique dans un environnement où le téléphone portable est interdit. « On a une chaîne hi-fi dans la cellule où on peut mettre des CD. C’est la famille qui nous apporte des disques au parloir, c’est autorisé », explique Kenny. Pour avoir la chaîne hi-fi, il faut « cantiner », c’est-à-dire l’acheter au « magasin » de l’administration pénitentiaire. D’autres utilisent les vieilles consoles de jeux qui sont proposées. Mais certains n’ont pas cette chance. « Je n’ai rien dans ma cellule. Avant d’être incarcéré, je passais un temps énorme sur YouTube et ça me manque. Du coup, on allume la télé et on met CStar et W9 pour avoir les clips », raconte Quentin, qui n’est pas incarcéré depuis longtemps. La plupart des détenus ont une quinzaine, voire une vingtaine de disques dans leur collection qu’ils reçoivent au parloir ou par colis. « Nous avons une médiathèque où ils peuvent emprunter des CD mais elle n’est pas très utilisée. Certains en empruntent de temps en temps », explique Chloé Boivin, coordinatrice culturelle de l’établissement pénitentiaire.
Du rap, du rap et… du rap
Si la médiathèque n’a pas un succès fou, c’est peut-être parce qu’elle offre un choix éclectique un peu éloigné des goûts de ses résidents. « On a de tout : du classique, du jazz manouche, du rock… On veut proposer des découvertes », ajoute la coordinatrice culturelle. Car soyons clairs, parmi tous les détenus que nous avons interrogés, tous nous ont parlé de rap. Mais pas que ! « Moi, j’écoute presque que du rap US, un peu de dancehall jamaïcain aussi ». Mehdi a « une quinzaine d’albums » dans sa cellule. Des noms ? « Travis Scott, Migos, Meek Mill. J’ai du reggae aussi, du Bob Marley. Souvent, on en met le soir après manger, c’est plus calme, ça détend », explique le jeune homme. Son pote Kenny est plutôt branché rap français. « Koba LaD, Gazo, Ninho. J’ai un album de 50 Cent aussi. Et un peu de musique gitane. » De la musique, il en écoute « toute la journée, pour occuper ».
Le monde entier représenté
A côté du rap, la prison est aussi un mélange de musiques du monde où chaque communauté aime s’imposer. Des chants tziganes, du calypso antillais, du reggae jamaïcain ou africain résonnent à travers les portes des cellules. « Tu as plein de trucs entre les renois, les rebeus. Chacun écoute ses sons de chez lui », explique Lorenzo. Le solide gaillard est « auxi ». C’est lui qui supervise la salle de sport de la prison. C’est donc à lui que revient la gestion de la musique pendant les séances de musculation. « On écoute du rap genre Booba, Drake ou Nipsey Hussle. Mais je ne mets pas que ça. Pour le sport, j’aime bien la deep house, les trucs électros sans parole entraînants pour ne pas réfléchir ». Il cite notamment le DJ Kaytranada, adepte d’un électro-funk assez dansant.
Tee-shirt de 2Pac sur les épaules, Mick était chanteur quand il était « dehors ». Pour lui, la musique est essentielle en cellule. « C’est ce qui me permet de m’évader, de penser à autre chose », explique le jeune homme avant d’aller chanter sur la scène du gymnase sur une instru inventée lors d’ateliers organisés en partenariat avec le festival des Trans Musicales. François est un peu plus âgé. La grande quarantaine, l’homme est un énorme fan de musique. Il en compose même sur son ordinateur. Dans sa cellule, lui aussi a du rap. « Plutôt des trucs old-school genre Dr Dre, Beastie Boys, NTM ou Assassin ». Il est le seul à nous avoir parlé de rock. « J’écoute vraiment de tout. J’ai du Blur, du Noir Désir, The Verve aussi. Et Daft Punk, j’adore Daft Punk ».
La musique « apaise » les détenus
L’homme fait quand même figure d’ovni dans ce paysage ultra-dominé par le rap. Pourquoi une telle hégémonie ? « C’est une musique jeune où on se reconnaît dans les paroles », estime Quentin, qui n’a pas 30 ans. « Les paroles, ça t’aide à avancer, ça t’aide à surmonter ta peine », ajoute Lorenzo. « La musique, c’est presque un mode de vie. Dès que je rentre en cellule, j’en mets. Sinon, tu as le silence, comme s’il ne se passait rien, comme si le temps n’avançait pas », embraye Davy.
Lui estime même que la musique « calme les détenus ». « J’ai l’impression que ça nous apaise ». Est-ce que parfois le choix de la musique fait débat dans une cellule partagée et souvent surpeuplée ? « Ça arrive. Mais en général, on s’entend bien. » « Parfois ça pose un peu problème quand les gamins mettent trop fort et que toi tu veux de reposer, reconnaît Lorenzo. Là, ça m’énerve. »
La playlist de la détention
Au cours de notre existence, on a tous des chansons qui nous rappellent un moment triste, joyeux, une personne partie trop tôt ou un fait marquant de notre vie. Pour les détenus, ces quelques CD garderont une place particulière dans leur mémoire. Écoutés des centaines de fois, ces albums deviendront la playlist de leur passage en détention, comme le marqueur d’une époque. « En prison, le temps est lent, tout est long », rappelle Quentin. Pendant deux heures, le temps s’est soudainement accéléré au rythme chaloupé de la musique africaine. Avant de retomber.
*Tous les prénoms ont été modifiés.
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